mardi 20 juillet 2021

Ngee Ann City



 Il y a des pays qui marquent le visiteur par leur patrimoine artistique ou par la créativité de leurs artisans. Singapour s'illustre par la place accordée au commerce de luxe, aux boutiques consacrées aux montres de milliardaires ( car comment ne pas s'amuser des milliers de dollars dépensés pour voir deux aiguilles se croiser interminablement ? ) . La beauté est ici synonyme de richesse. La richesse synonyme de beauté. Ainsi cette place adorée par Chanel, Vuitton et les grandes marques de l'Europe "perlée" et diamantée. Il n'en reste pas moins que cet édifice commercial qui représente le nombril prestigieux d'Orchard Road n'est pas sans charme. L'architecture massive et le lion chinois veillent sur les prix astonomiques des produits inaccessibles au commun des mortels et représentent le parangon du capitalisme oriental.





jeudi 15 juillet 2021

De la multiplicité des lectures philosophiques

Il y a, admettons le, plusieurs formes de lecture. Une lecture poétique qui inspire. Elle s'inscrit en nous comme un parasite qui est capable d'altérer notre vision. En ce sens, la lecture d'un poète peut créer en moi des effets aussi durables que ceux produits par la lecture d'un philosophe. Il est cependant utile de se pencher sur les différentes modalités de lecture qui peuvent exister à l'intérieur de l'univers de la Philosophie. 
 
 Il y a tout d'abord la lecture sauvage. Celle-ci s'enrichit de tout et de n'importe quoi. Généralement, elle ne produit rien de bien solide. Car lire, ce n'est pas tout lire. Mais sélectionner comme le dit Jean-Jacques Rousseau: Émile a peu de connaissances, mais celles qu’il a sont parfaitement siennes. Ainsi, celui qui lit trop se disperse, d’où ce conseil poli mais ferme de Schopenhauer : ne pas trop lire. La lecture sauvage, trop étendue, trop ambitieuse se révèle donc souvent stérile car elle ne parvient pas à séparer le bon grain de l'ivraie. Elle correspond à une faim non maîtrisée, à une hybris de savoir qui caractérise les premières années d'études. 
 
 Il existe également une lecture universitaire. Celle-ci, à l'inverse de la première, n'est plus sauvage, mais hautement policée. Elle pense souvent non pas au contenu, mais aux interminables notices bibliographiques des thèses universitaires. C'est la lecture d'apparat. Mais cette façon d'habiter professionnellement la philosophie a également un travers qui est de se revendiquer d'un philosophe. Il ne s'agit donc pas de penser mais de penser à partir d'une autre pensée. Ceci s'explique bien entendu par l'influence intellectuelle qui s'instaure à la lecture de celui qui est considéré comme un « maître à penser ». Pour l'université, penser, c'est toujours penser à partir d'un horizon magistral. Notons aussi que cette lecture repose sur le concept d'héritage terminologique. Nous écrivons et pensons alors dans le style de Marx, Foucault, Heidegger. En reprenant les caractéristiques syntaxiques, voire les défauts de style du philosophe premier. Les thèses doctorales fort longues supposent souvent une admiration intellectuelle, mais également une imprégnation de pensée qui crée des phénomènes assez déconcertants de mimétisme notionnel. cette mimesis, qu'elle soit consciente ou inconsciente, structure ce que l'on nomme les « courants de pensée ». La lecture universitaire crée des pensées revendiquant une filiation . Ainsi, en lisant l'ouvrage de Pierre Jacerme, « introduction à la philosophie occidentale », je n'ai pas tant retrouvé la philosophie occidentale que Heidegger., son ontologie, que sa perception du monde qui a été soigneusement recopiée et restituée. Mon maître Henri Birault fit de même en écrivant son « Heidegger et l’expérience de la pensée ». C'est ainsi que la lecture universitaire est une forme de révérence qui consiste à penser à partir de la figure d'un Maitre.
 
 Mais peut-on imaginer une autre forme de lecture ? Une sorte de lecture intermédiaire entre la lecture sauvage du néophyte et la lecture disciplinée de l'érudit ? Une lecture qui permettrait d'abandonner toute filiation et d'oser enfin penser par soi-même plutôt que de philosopher à l'ombre des grands noms ( expression favorite des historiens de la philosophie ) ? On dira qu'il vaut mieux se réclamer de la pensée des maîtres plutôt que d'accoucher d'une banalité de plus. Certes. Mais il est ici question de la notion de vérité philosophique : dans la mesure où celle-ci exige, comme le dit Descartes, le courage d'ouvrir les yeux et de marcher seul dans une direction choisie par nous, nous ne pouvons nous satisfaire de la seule lecture de filiation. Il faut savoir, sans orgueil et en ayant le sens de l'effort, penser le monde à partir de ses propres notions. Et quand bien même seraient-elle inspirées par des lectures préalables ,elles n'en sont pas moins exprimées par nous-mêmes. Or cette nécessaire singularité qui n'est que l'autre nom de la liberté, ne s’exerce pas par la seule lecture. Il n'y a jamais en effet de lecture "originale" ou singulière car la phrase que je lis a toujours été formulée par l'autre. Quand nous lisons un autre pense pour nous” enseignait Schopenhauer. La seule façon de faire nôtre une pensée est alors de la réécrire, de l'éclairer en la reproduisant .Ainsi la lecture véritablement philosophique est une lecture qui s’ interrompt, et se métamorphose en écriture. Une lecture annotée. Elle doit ainsi laisser la place à l'écriture volontaire décidée, donatrice de sens. C'est la raison pour laquelle il faut savoir refermer un ouvrage, sortir d'une bibliothèque, transformer le monde et arrêter le cercle sans fin des lectures infinies. Pour être féconde, la lecture du maître doit s'incarner dans les mots et l'encre du disciple. C’est la raison sans doute pour laquelle Alexandre le Grand avait emporté avec lui l’Iliade d’Homère soigneusement annotée par son vieux Maitre Aristote. 
 
 
 Note publiée par les enseignants du lycée Henri IV sur les lectures à faire avant la classe de terminale en 2021 : “«L’appropriation d’un texte est d’autant plus facile que sa lecture est menée dans la tranquillité et l’étude, avec plaisir et goût, crayon en main pour souligner les passages, les expressions, les raisonnements ou les épisodes qui intéressent, donnent à penser, portent à l’annotation dans les marges du livre et ainsi travaillés, peuvent continuer à nourrir la réflexion».”

dimanche 11 juillet 2021

Le temps du désœuvrement.

La musique m'a beaucoup appris. Elle est cruelle, comme toute forme artistique. Le pianiste de Jazz canadien Mulgrew Miller sut l'exprimer de façon magistrale dans ses ateliers musicaux . Il nous rappelle que le musicien de Jazz est à la recherche de quelques moments de grâce qu'il a vécus et que toute sa vie est tendue désormais vers la recherche exigeante de cette lumière qui oriente tous ses efforts.
Mulgrew Miller
 
 
Retrouver cet instant privilégié où l'univers devient pure lumière. L'écriture obéit de facto à la même injonction. Il y a derrière les conjonctions d'idées, de phrases, et de sonorités, le souvenir forcené d'une satisfaction totale, inénarrable.
 
 L'art, qu'il soit musical ou scripturaire n'est que la recherche d'un passé glorieux et fulgurant. Mais, et c'est là le problème, la gloire n'est que momentanée. Le temps est long. Il doit cependant être habité, et ce que nous appelons l'ennui n'est que le sentiment du temps qui est déserté par cette grâce. Il faut avoir le courage, alors d'épauler l'ennui et l'on pourrait définir l'artiste comme l'artisan d'une recherche de l'œuvre qui se double du courage du désœuvrement.
 
 
 « Pour le penseur et pour tous les esprits inventifs, l'ennui et ce désagréable « temps calme » De l'âme qui précède a traversé heureuse et les vents joyeux. » ( Frédéric Nietzsche, le gai savoir, paragraphe 12.)
 
 
 Il y a donc une morale de l'artiste qui consiste à accepter le temps de l'ennui car il est indissociable du moment créateur. Après tout, le repos de Dieu après la création lui aussi dut sans doute ressembler à ce désœuvrement. Savoir « demeurer chez soi avec plaisir » insistait Pascal, supporter ce que les hommes ne supportent pas : l’ennui.

samedi 3 juillet 2021

Madame de Staël et Fichte

 

Mme de Stael


 

On Raconte que Madame de Staël ayant rencontré le grand philosophe allemand Johann Gottlieb Fichte,  lui demanda avec une certaine hardiesse (Ce qu'on voulut bien lui pardonner puisqu’elle n'était pas philosophe de profession)  de résumer son système centré sur l’idée du Moi (Ich) en quinze minutes. Madame de Staël avait l'esprit « français », c'est à dire l'esprit taquin, insubordonné , se tenant à la limite de l'arrogance aristocratique.
 Fichte bafouilla quelques mots en essayant de résumer la philosophie de toute une vie et Madame de Staël n'y comprenant strictement rien, écourta l'entretien en lui rappelant  méchamment qu'il s'agissait sans doute d'une de ces histoires du baron de Münchhausen. Elle ramenait par là même la profondeur de l'idéalisme allemand à une histoire comique ou un conte philosophique d'où Voltaire serait désespérément absent.

 

Fichte

 


 On a là à la fois un mélange de légèreté et de bêtise propre à celui qui demeure extérieur à la complexité d'une doctrine philosophique. Tout professeur doit faire l'expérience de cette bêtise lorsqu'il est confronté à certains parents d'élèves. Ceux-ci veulent absolument rendre compte de sa discipline à partir de leurs souvenirs de potaches, d’un discours dominant ou des intérêts bassement égoïstes d’une famille , voire d’un clan, ce qui n'a généralement pour effet que de déformer la discipline ou son essence,  l’entretien se transformant progressivement en bavardage affligeant,   stérile et interminable. Durant ces acrobaties verbales , l'un jauge l'autre comme un boxeur avant le dernier round.   Mélange de mécompréhension amusée , de crispation souriante. Nous nous quittons avec une poignée de main de fausse cordialité, oubliant ce qui ne fut bien heureusement qu’un accident scolaire. Bien sûr, et c’est une bonne chose,  le professeur fait de meilleures rencontres mais la bienveillance n’est pas toujours la chose du monde la mieux partagée. Comment ne pas penser à ces innombrables Mesdames et Messieurs « de Staël » dont j’ai encore le portrait profondément gravé en moi  ? Je publierai avec plaisir certains portraits de la bourgeoisie endimanchée car il serait faux de croire que l’enseignement se limite au rapport du Maitre et de l’ élève. Les rencontres multiples avec les familles sont largement révélatrices des innombrables malentendus qui existent à propos de l’école. Il s’agit d’en parler et de considérer ces évènements non pas comme des « tragédies », mais comme des symptômes du malaise scolaire général.

dimanche 27 juin 2021

Illich oublié

 

Deux ouvrages ont pratiquement disparu des bibliothèques actuelles : l’éloge de la fuite de H Laborit et la « société  sans école » ( deschooling society ») d’Ivan Illich. On ne peut que regretter cette invisibilité. Elle va sans doute de pair avec les dogmes de la société néolibérale du XXI siècle. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit de lectures roboratives, de ces lectures que recommandait Goethe, qui enrichissent notre perception et nous donnent une énergie supplémentaire.
Illich est un prêtre défroqué , qui s’en prend avec une violence inégalée à l’Eglise et à l’Ecole. Les arguments sont nombreux et entremêlés chez lui , mais on peut les ramener en gros à l’idée suivante : une éducation sans école est non seulement possible mais souhaitable. Dans tout débat sur l’école, il faudrait rendre la lecture de cet ouvrage indispensable car l’horizon dégagé par Illich, avant internet, les réseaux et les MOOC préfigure sans aucun doute ce que nous connaissons aujourd’hui.

Ivan Illich — Wikipédia 

Ivan Illich

Extrait :

Pourquoi il faut en finir avec l’institution scolaire

 

« Bien des étudiants, en particulier ceux issus de familles modestes, savent intuitivement ce que leur

apporte l’institution scolaire. Elle leur enseigne à confondre les méthodes d’acquisition du savoir et la matière de l’enseignement et, une fois que la distinction s’efface, les voilà prêts à admettre la logique de l’école : plus longtemps ils resteront sous son emprise, meilleur sera le résultat, ou encore : le « processus de l’escalade » conduit au succès ! C’est de cela que l’élève est « instruit » par les soins de l’école. C’est ainsi qu’il apprend à confondre enseigner et apprendre, à croire que l’éducation consiste à s’élever de classe en classe, que le diplôme est synonyme de compétence, que savoir utiliser le langage permet de dire quelque chose de neuf… Son imagination, maintenant soumise à la règle scolaire, se laisse convaincre de substituer à l’idée de valeur celle de service : qu’il imagine, en effet, les soins nécessaires à la santé, et il ne verra d’autres remèdes que le traitement médical ; l’amélioration de la vie communautaire passera par les services sociaux ; il confondra la sécurité individuelle et la protection de la police, celle de l’armée et la sécurité nationale, la lutte

quotidienne pour survivre et le travail productif. Santé, instruction, dignité humaine, indépendance, effort créateur, tout dépend alors du bon fonctionnement des institutions… »

 

Quelle introduction fabuleuse ! Quel incipit !
 Bien, je pense qu'en fait il y a ici, énormément de choses qui sont données. Mais surtout l'idée de l'endoctrinement.  L'école pour Ivan Illich n'enseigne pas des doctrines, mais elle endoctrine.
 Elle est un long apprentissage de soumission aux institutions. Et au pouvoir. Et en ce sens, l'école, c'est le contraire de l'éducation, puisque pour Ivan Illich, éduquer quelqu'un, c'est lui montrer qu'il a la capacité de résister au pouvoir.
 Or, l'école, elle, procède à une sorte de « processus de l'escalade ».  On essaie de monter ( dans l’imaginaire parental ou magistral ) , monter les marches le plus haut possible afin d'arriver à avoir le plus de pouvoir sur les autres. Donc avoir des examens, avoir des diplômes, passer par un sorte de goulot d'étranglement .C’ est une sorte de parcours du combattant qui est dépeint dès la classe de maternelle dans nos établissements. Et cette idée que le diplôme devient progressivement synonyme de compétence est selon lui  une absurdité contemporaine.

 

Ce  fétichisme du diplôme est extrêmement dommageable dans les propositions implicites de la philosophie éducative contemporaine. Sans partager nécessairement les thèses d’Illich , certaines de ses vues méritent me semble-t-il notre lecture attentive et renouvelée.