mardi 3 août 2021

La morale est-elle relative ?

 


 

Kant, disons-le a mauvaise presse. Les notions mêmes de “loi” et d’universalité” apparaissent marquées du signe de l’obsolète pour une époque qui vit l’impératif comme une contrainte inutile et l’universel comme la première des illusions. Le relativisme est donc l’air du temps. A chacun son bien, à chacun sa vérité, à chacun son goût.        
L’argument des relativistes tient souvent dans un rappel du principe de réalité : il n’y aurait pas de devoir universel  et le kantisme moral qui énonce : “ je dois toujours me conduire de telle sorte que je puisse aussi vouloir que ma maxime devienne une loi ” ressemble pour eux à une formule éculée car tous les hommes sont irrémédiablement différents. Séparés par leurs cultures, leurs morales et leurs idées. O tempora , o mores. La réalité nous appellerait inexorablement du côté de la diversité et de la particularité, le chacun pour soi étant la dernière vérité de l' éthique.   Vouloir dans ces conditions réclamer une morale universelle serait exiger pour eux la création d’un homme abstrait car un homme réel par définition serait englué dans la particularité du monde et l’idiosyncrasie normative.

Mais c’est là que je ne peux plus suivre l’argument en ses derniers retranchements car si c’est l’expérience humaine qu’il s’agit de convoquer, examinons alors sans complexe les faits divers puisque selon nos relativistes la “diversité” des faits devrait nous inciter à nier l’idée d’un impératif catégorique ou d’un devoir universel. Les faits sont-ils anti-kantiens par nature ? La morale se conjugue-t-elle au pluriel, en fonction des différents et imperméables égoïsmes ?

Rappelons donc un fait divers récent . Douze jeunes thaïlandais pris au piège avec leur professeur de football dans la grotte inondée de Tham Luang au fin fond de la Thaïlande en juin 2018. On pourrait se dire en écoutant le son sinistre de la morale relativiste que seuls les Thaïlandais vont s’intéresser aux thaïlandais ou en poussant encore plus loin l’argument, que seules les familles sont au fond concernées par le sauvetage, donc que le devoir de porter assistance à une personne en danger n’est pas universel mais bien relatif (à une culture, à une famille, voire in fine à une personne). Or les faits, loin d’invalider la morale universelle de Kant semblent la fortifier. En effet qu’a-t-on vu ? Des nations que rien n’unit politiquement comme la Chine, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne entre autres prêter main forte aux opérations de sauvetage. Cette volonté commune de sauver des hommes et des enfants peut alors apparaitre comme un devoir de la raison ou comme une émotion partagée. Certes le kantisme évaluera à juste titre l’origine subjective de l’action morale et de sa maxime, mais il n’en reste pas moins que nous assistons de facto à la création d’un universel “ dans les faits”, qui n’est pas l’universel de la pensée abstraite mais un concert des nations bien réel et réjouissant les spectateurs. L’égoïsme n’est donc pas une nécessité, la prison culturelle n’est pas non plus une évidence. Il y a des devoirs que les hommes s’imposent malgré leurs différences et l’idée d’un devoir universel n’est pas aussi périmée qu’on le dit ou qu’on le braille.

 

 

Enfin un homme “ à qui tout va bien, voyant d’autres hommes (à qui il pourrait bien porter secours) aux prises avec de grandes difficultés, raisonne ainsi: Que m’importe? Que chacun soit aussi heureux qu’il plait au Ciel ou que lui‑même peut l’être de son fait; je ne lui déroberai pas la moindre part de ce qu’il a, je ne lui porterai pas même envie; seulement je ne me sens pas le goût de contribuer en quoi que ce soit à son bien‑être ou d’aller l’assister dans le besoin ! Or, si cette manière de voir devenait une loi universelle de la nature, l’espèce humaine pourrait sans doute fort bien subsister, et assurément dans de meilleures conditions que lorsque chacun a sans cesse à la bouche les mots de sympathie et de bienveillance, et même met de l’empressement à pratiquer ces vertus à l’occasion, mais en revanche trompe dès qu’il le peut, trafique du droit des hommes ou y porte atteinte à d’autres égards. Mais, bien qu’il soit parfaitement possible qu’une loi universelle de la nature conforme à cette maxime subsiste, il est cependant impossible de VOULOIR qu’un tel principe vaille universellement comme loi de la nature. Car une volonté qui prendrait ce parti se contredirait elle‑même; il peut en effet survenir malgré tout bien des cas où cet homme ait besoin de l’amour et de la sympathie des autres, et où il serait privé lui‑même de tout espoir d’obtenir l’assistance qu’il désire par cette loi de la nature issue de sa volonté propre.

 

Kant, Fondements de la Métaphysique des Mœurs.

 

Il faut alors distinguer l‘universel de facto et l’universel de jure, comme Kant nous y invite. Oui il y a des différences entre nous et l’universel du fait semble s’évanouir bien souvent, mais ce que l’esprit veut, c’est tout de même une condition de possibilité de la moralité. L’universel apparait bien incontournable sous ce jour comme un objet de la volonté. Je peux, il est vrai, sombrer dans l’égoïsme et le repli sur moi-même, mais je ne peux “vouloir” une telle situation, l’égoïsme ne peut devenir une loi universelle de la raison puisque l’espoir de l’assistance serait mis à mal. Ce qui nous fait donc échapper au relativisme moral c’est tout simplement l’exercice de la volonté. Le monde entier s’est réuni pour prêter main forte à ces jeunes thaïlandais. C’est bien l’illustration que l’indifférence et le “que m’importe” ? ne sont pas fatalement ratifiés par les faits comme on pourrait le croire trop rapidement.

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