jeudi 15 juillet 2021

De la multiplicité des lectures philosophiques

Il y a, admettons le, plusieurs formes de lecture. Une lecture poétique qui inspire. Elle s'inscrit en nous comme un parasite qui est capable d'altérer notre vision. En ce sens, la lecture d'un poète peut créer en moi des effets aussi durables que ceux produits par la lecture d'un philosophe. Il est cependant utile de se pencher sur les différentes modalités de lecture qui peuvent exister à l'intérieur de l'univers de la Philosophie. 
 
 Il y a tout d'abord la lecture sauvage. Celle-ci s'enrichit de tout et de n'importe quoi. Généralement, elle ne produit rien de bien solide. Car lire, ce n'est pas tout lire. Mais sélectionner comme le dit Jean-Jacques Rousseau: Émile a peu de connaissances, mais celles qu’il a sont parfaitement siennes. Ainsi, celui qui lit trop se disperse, d’où ce conseil poli mais ferme de Schopenhauer : ne pas trop lire. La lecture sauvage, trop étendue, trop ambitieuse se révèle donc souvent stérile car elle ne parvient pas à séparer le bon grain de l'ivraie. Elle correspond à une faim non maîtrisée, à une hybris de savoir qui caractérise les premières années d'études. 
 
 Il existe également une lecture universitaire. Celle-ci, à l'inverse de la première, n'est plus sauvage, mais hautement policée. Elle pense souvent non pas au contenu, mais aux interminables notices bibliographiques des thèses universitaires. C'est la lecture d'apparat. Mais cette façon d'habiter professionnellement la philosophie a également un travers qui est de se revendiquer d'un philosophe. Il ne s'agit donc pas de penser mais de penser à partir d'une autre pensée. Ceci s'explique bien entendu par l'influence intellectuelle qui s'instaure à la lecture de celui qui est considéré comme un « maître à penser ». Pour l'université, penser, c'est toujours penser à partir d'un horizon magistral. Notons aussi que cette lecture repose sur le concept d'héritage terminologique. Nous écrivons et pensons alors dans le style de Marx, Foucault, Heidegger. En reprenant les caractéristiques syntaxiques, voire les défauts de style du philosophe premier. Les thèses doctorales fort longues supposent souvent une admiration intellectuelle, mais également une imprégnation de pensée qui crée des phénomènes assez déconcertants de mimétisme notionnel. cette mimesis, qu'elle soit consciente ou inconsciente, structure ce que l'on nomme les « courants de pensée ». La lecture universitaire crée des pensées revendiquant une filiation . Ainsi, en lisant l'ouvrage de Pierre Jacerme, « introduction à la philosophie occidentale », je n'ai pas tant retrouvé la philosophie occidentale que Heidegger., son ontologie, que sa perception du monde qui a été soigneusement recopiée et restituée. Mon maître Henri Birault fit de même en écrivant son « Heidegger et l’expérience de la pensée ». C'est ainsi que la lecture universitaire est une forme de révérence qui consiste à penser à partir de la figure d'un Maitre.
 
 Mais peut-on imaginer une autre forme de lecture ? Une sorte de lecture intermédiaire entre la lecture sauvage du néophyte et la lecture disciplinée de l'érudit ? Une lecture qui permettrait d'abandonner toute filiation et d'oser enfin penser par soi-même plutôt que de philosopher à l'ombre des grands noms ( expression favorite des historiens de la philosophie ) ? On dira qu'il vaut mieux se réclamer de la pensée des maîtres plutôt que d'accoucher d'une banalité de plus. Certes. Mais il est ici question de la notion de vérité philosophique : dans la mesure où celle-ci exige, comme le dit Descartes, le courage d'ouvrir les yeux et de marcher seul dans une direction choisie par nous, nous ne pouvons nous satisfaire de la seule lecture de filiation. Il faut savoir, sans orgueil et en ayant le sens de l'effort, penser le monde à partir de ses propres notions. Et quand bien même seraient-elle inspirées par des lectures préalables ,elles n'en sont pas moins exprimées par nous-mêmes. Or cette nécessaire singularité qui n'est que l'autre nom de la liberté, ne s’exerce pas par la seule lecture. Il n'y a jamais en effet de lecture "originale" ou singulière car la phrase que je lis a toujours été formulée par l'autre. Quand nous lisons un autre pense pour nous” enseignait Schopenhauer. La seule façon de faire nôtre une pensée est alors de la réécrire, de l'éclairer en la reproduisant .Ainsi la lecture véritablement philosophique est une lecture qui s’ interrompt, et se métamorphose en écriture. Une lecture annotée. Elle doit ainsi laisser la place à l'écriture volontaire décidée, donatrice de sens. C'est la raison pour laquelle il faut savoir refermer un ouvrage, sortir d'une bibliothèque, transformer le monde et arrêter le cercle sans fin des lectures infinies. Pour être féconde, la lecture du maître doit s'incarner dans les mots et l'encre du disciple. C’est la raison sans doute pour laquelle Alexandre le Grand avait emporté avec lui l’Iliade d’Homère soigneusement annotée par son vieux Maitre Aristote. 
 
 
 Note publiée par les enseignants du lycée Henri IV sur les lectures à faire avant la classe de terminale en 2021 : “«L’appropriation d’un texte est d’autant plus facile que sa lecture est menée dans la tranquillité et l’étude, avec plaisir et goût, crayon en main pour souligner les passages, les expressions, les raisonnements ou les épisodes qui intéressent, donnent à penser, portent à l’annotation dans les marges du livre et ainsi travaillés, peuvent continuer à nourrir la réflexion».”

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