mardi 20 juillet 2021

Bachelard styliste

« les jours de ma gentillesse, on apportait le gaufrier. Il écrasait de son rectangle le feu d’épines, rouge comme le dard des glaïeuls. Et déjà la gaufre était dans mon tablier, plus chaude aux doigts qu’aux lèvres. Alors oui, je mangeais du feu, je mangeais son or, son odeur et jusqu’à son pétillement tandis que la gaufre brûlante craquait sous mes dents. Et c’est toujours ainsi, par une sorte de plaisir de luxe, comme dessert, que le feu prouve son humanité. Il ne se borne pas à cuire, il croustille. Il dore la galette. Il matérialise la fête des hommes. Aussi haut qu’on puisse remonter, la valeur gastronomique prime la valeur alimentaire et c’est dans la joie et non pas dans la peine que l’homme a trouvé son esprit. La conquête du superflu donne une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire. L’homme est une création du désir, non pas une création du besoin. »  

En relisant ce passage je m’ aperçois de la vérité des propos de Michel Tournier. Ce dernier avait été impressionné, comme tous ses élèves, par l'enseignement de Gaston Bachelard mais Tournier dans ses entretiens a toujours soutenu le fait que Bachelard fut beaucoup plus un poète qu'un épistémologue. Et je crois qu’in fine Tournier avait raison. En tout cas sur les qualités du poète, on ne peut pas lui donner tort. Car on voit dans ce passage l'extraordinaire styliste qu’ était Gaston Bachelard et c'est plutôt cela que nous allons retenir de ces ouvrages : ces comparaisons audacieuses et fécondes entre les mythes et les tendances principales de l'esprit humain.  Lorsque Bachelard nous dit que l'homme est une création du désir et non pas une création du besoin, il écrit une formule qui sera retenue par toutes les classes de philosophie, mais qui se souvient encore du beau  passage qui précède cette phrase célèbre ? Impressions d'enfance, qui ressemblent aussi bien à Proust qu’à Marcel Pagnol, des images qui montrent l'importance des sensations dans la formation de l’esprit et de l’imagination de l’enfant. La cendre chaude, la gaufre sur le tablier de l’enfant et les tons multicolores et infiniment variés  du feu qui brûle dans la cheminée.

 

 

 

 

 




 

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