vendredi 6 août 2021

Temps et révolution


 

Il y a dans le stoïcisme un élément révolutionnaire, plus exactement un élément qui devrait être le noyau de toute révolution sociale. On se pose la question : de quoi sera faite la révolution ? Si la révolution s'impose un programme qui se doit d'être un programme de changement, que faut-il changer ?          
 Un homme ? Un gouvernement ? Un style ? Une idée politique ? L'homme lui-même ? Il est évident que tous les révolutionnaires doivent se poser la question du contenu désiré. Il n’y a sans doute que les anarchistes pour abandonner cette quête du contenu de la société de demain ( Voir Chomsky sur ce point) , ainsi on peut opposer d’une part les révolutionnaires dogmatiques qui donnent un contenu à l’idée de révolution : changer le dirigeant ( Staline ), le gouvernement ( une nouvelle équipe), les lois ( c’est l’esprit de 1789 ), un style ( Macron et Brigitte ). A ces révolutionnaires positifs s’opposent les révolutionnaires négatifs comme Chomsky qui disent : l’anarchisme c’est d’abord le refus de l’injustice, mais on ne saurait jamais a priori ce que serait un régime juste. On peut comparer l ‘anarchiste à un médecin : il soigne la maladie , la souffrance, mais quant à savoir ce qu’est la santé... il l’ignore ou spécule toute sa vie.

 


 

Alors la révolution stoïcienne c'est que s'il y a quelque chose que nous devons revendiquer c'est un certain rapport au temps. Dans un sens j'ai été très marqué par Sénèque sur ce point parce qu'il est très précis sur ce nouveau rapport au temps que nous devons instaurer. Si les choses se passent mal, si nous crions à l’injustice, si tous les révolutionnaires demandent de la justice et la réclament avec force et fracas c'est que la justice pour l'homme n'est possible que dans une certaine relation au temps.    
 
En cela, il y a une exigence très forte chez les stoïciens qui consiste à voir le changement réel non pas comme un changement qui affecte la chose ( res ), mais comme une modification de ma relation au temps lui-même. Cela peut paraitre abstrait mais c'est exactement l'inverse ! Les révolutionnaires qui nous parlent de programmes, d'édification de plans, de partis, de changements de structure sont peut-être ceux qui sont le plus éloignés de la réalité et ils l'ignorent !

 

Pourquoi ? Parce que ce que l'homme réclame dit Sénèque c'est de posséder non pas la lune ou des biens utopiques, mais tout simplement ce qui est à portée de main. Ce qui le caractérise. Nous sommes là au cœur du stoïcisme qui consiste à vouloir ce qui ne peut m'échapper et à fuir ce qui demeure hors d’atteinte. Ce qui constitue l'essence de l'homme c'est le temps. Non pas le temps abstrait des horloges que nous ne maitrisons pas puisque nous ne pouvons l’arrêter, mais "notre" temps c'est-à-dire la façon dont j'occupe "mon" temps. On voit immédiatement la puissance de ce possessif. Le temps ( abstrait) devient mon temps ( concret) dès lors que je change mon rapport au temps.      
 
En effet si nous sommes définis par la durée de nos activités, il est évident que l'homme est malmené par ce que l'on appelle la pression sociale : des patrons qui nous demandent de rester au bureau malgré la fatigue, des messages qui nous sollicitent et captent notre attention, des affaires qui nous occupent mais nous détournent de l’essentiel. Ces demandes externes sont ce qu'il y a de plus injuste dans la vie d'un homme si l'on définit l'homme par l'ensemble de ses actes librement réalisés. Il va de soi que dans le cas de l'animal ce rapport au temps diffère car l'animal ne pose pas spécifiquement une finalité qui oriente ses activités. Inversement le petit garçon qui dit : Je serai écrivain est tout de suite dans un rapport éthico-politique au temps. En annonçant "Je serai écrivain" il suppose qu'il y aura "un" temps qui sera la condition de possibilité de ses actions finalisées.   
 Et c'est là justement le problème pour Sénèque : c'est que la vie sociale elle-même peut être vue comme une somme d'obstacles s'opposant à ma finalité personnelle. " Ton temps, jusqu'à présent, on te le prenait". Voilà le cœur de toute révolution : réaliser que l'essentiel n'est pas dans la richesse, les droits , la liberté, l'argent mais dans le temps sans lequel ces notions sont vides. Le temps accordé à mes actions voulues est le contenu de toute action authentiquement révolutionnaire. Il s'agit de se donner du temps dans les termes de Sénèque : "Récupère-le (ce temps de ton existence ) et prends-en soin."  
 
J'ai appris la vérité de la première lettre à Lucilius en me souvenant de la guerre froide. On avait clairement deux modèles antagoniques de société, mais nous apprenions que dans ces deux mondes, le rapport au temps n'avait pas changé. Pour les bienfaits de l'entreprise capitaliste américaine, l'ouvrier américain se levait à 6 heures du matin, mais l'ouvrier soviétique faisait de même pour le plus grand bien du socialisme d'Etat. L'aliénation n'avait pas le même visage mais ces révolutions passaient à côté de l'essentiel. Une société sera juste lorsque le citoyen pourra employer son temps à être lui-même et non pas la chose d'un autre. Marx avait entrevu ce rêve dans son désir de polyactivité qui ne faisait qu'exprimer d'une autre façon la même idée. La véritable révolution sera celle du temps lui-même.  
 
On se rend compte par là-même que jamais une époque n’a été moins révolutionnaire que la nôtre. Nous pensons que la révolution véritable provient de l’objet, qu’il s’agit d’une multitude d’objets et de gadgets que nous devons posséder, mais la révolution provient du temps que l’on nous ôte par les technologies qui captent l’attention et nous enlèvent la possibilité de mener une existence authentique en donnant libre cours à nos activités. Car le progrès ne réside pas dans la profusion des objets mais dans la somme de temps libre dont nous disposons. Sur ce point Diderot a raison ce que nous appelons civilisation n’est qu’une aliénation. Le tahitien profitait de ses deux heures de chasse et le reste de la journée était à lui, nous faisons l’inverse, nous ne sommes libres que deux heures, après un travail exténuant et violent. Et ces deux heures nous les employons à subir la pensée des médias qui n’est que celle du pouvoir.

mercredi 4 août 2021

3,2,1

 


 

La vie politique est particulièrement difficile à analyser en raison de ses modalités quasi infinies. Aristote comme la plupart des penseurs grecs avait reconnu ce fait : la politique n'est pas une. Elle a le visage de l'infini, puisque chaque cité (polis)peut adopter la constitution de son choix et conjuguer ainsi la politique de la manière la plus singulière qui soit.

Mais la science politique comporte deux versants facilement identifiables : l'analyse politique qui recense en quelque sorte la diversité des formes d'organisation et d'administration des Etats mais aussi le projet politique qui vise à la réalisation du juste. Ici, il faut bien admettre que la science politique mutatis mutandis reproduit la démarche de la médecine : avant de soigner le patient, il faut ausculter et pratiquer l’étiologie.De même avant de s'avancer vers le modèle d'une politique juste, il s'agit de proposer à la raison des concepts explicatifs du politique. Parmi ces concepts, nous trouvons des fameuses catégories de la droite et de la gauche. Ce qui nous intéressera dans ce propos, c'est d'examiner la raison pour laquelle ces catégories semblent perdre leur pertinence et déterminer ce qui est en jeu dans cette perception contemporaine des affaires de la cité.

3,2 ,1 : telle pourrait être l'histoire que nous allons à présent raconter. Les conceptions politiques ont une riche histoire que nous n'allons pas résumer ici. Mais il nous suffira de penser à cette petite musique de l'histoire politique européenne qui ressemble à une mise en orbite de l'idéologie : 3,2 ,1. Trois ordres tout d'abord qui définissent l'Europe depuis les temps médiévaux. Le moine, le chevalier, paysan. La noblesse, le clergé, le tiers état. Le passage à la modernité se fera en abandonnant la politique de l'ordre pour laisser place à ce qui définira la politique moderne. Le nombre deux qualifie à la fois le 19e et le 20e siècle, fils de la Révolution française. La droite et la gauche deviennent alors les catégories centrales du politique et polarisent la vie des idées autour de l'idée de monarchie. La politique fait sa mue, une métamorphose essentielle qui a le mérite de la clarté. La société n'est plus étagée, ni ordonnée. Elle est divisée et la politique devient alors synonyme de division. bien sûr, le temps donnera un masque différent à cette division, le 19e siècle oubliera l'idée de royauté pour admettre les catégories du capital et du travail, mais là encore, le règne du « deux » sera souverain. On sera avec Marx bourgeois ou prolétaire, dans le camp du capital ou dans celui du travail. Tout discours politique ne gagnera son intelligibilité qu’à la lumière de cette division fondamentale, matricielle. Et l'on peut dire que l'opposition droite gauche a pu fonctionner comme une véritable boussole politique durant deux siècles. Tous les pays ont plus ou moins adopté ce clivage : les assemblées parlementaires occidentales fonctionnent sur ce modèle même si le mode de distribution des sièges, notamment en Angleterre, peut subir quelques variations. Mais ce qui nous intéresse bien sûr, c'est la politique contemporaine qui, elle, est caractérisée par la forme idéologique. Par idéologie entendons un type de discours produisant des illusions et visant à défendre des intérêts existants. Alors que la science politique avait pour objet de dévoiler les motivations et intentions ; l’idéologique procède de manière inverse : il produit des effets rhétoriques capables de voiler les réalités et les intérêts existants. Or le vingt-et-unième siècle qui commence en 1989 avec la chute du mur de Berlin est largement idéologique car il adoptera dans les différents discours la narration politique du « un ». Ce passage du deux à l’un est caractéristique de l'idéologie politique contemporaine. Alain Badiou en avait analysé les caractères. Mais nous ne reprendrons pas ici les détails de son examen car nous dirigeons notre analyse vers d'autres objectifs. Tout d'abord il nous faut comprendre comment la théorie politique est passée proprement du deux à l'un : ici, plusieurs interprétations s'affrontent. Tout d'abord on pourrait penser que cet abandon de la dualité droite-gauche était nécessaire car cette division pouvait apparaître simplificatrice. C’est le point de vue de Tzvetan Todorov. Le déçu du libéralisme qui s'est aperçu en découvrant le monde capitaliste que les catégories de droite et de gauche pouvaient apparaitre comme des abstractions de la spéculation politique. En effet si nous reprenons son raisonnement, on peut voir les catégories séparatrices de la vie politique comme celle de la liberté et de la contrainte. Tout homme raisonnable s'apercevra alors qu'en tant que telles, c'est-à-dire considérées pour elles-mêmes, ces catégories ne peuvent être revendiquées car revendiquer une pure contrainte, ce serait désirer un régime autoritaire, violent et arbitraire. D'autre part, désirer une pure liberté serait vouloir le chaos, l'anarchie et le désordre. Ce qui fait que ce que nous appelons droite et gauche, est en réalité plus complexe que ce que nous imaginons de la politique. Chaque parti de droite ou de gauche dans les social démocraties pousserait en quelque sorte le curseur de la « contrainte » et de la « liberté » de manière à obtenir une synthèse de ces deux catégories. Ce que nous appelons la droite revendiquerait une liberté économique et serait beaucoup plus conservatrice concernant la morale, les comportements et les mœurs. À l’inverse, la gauche elle, serait libérale au niveau des attitudes et des modes de vie, et plus autoritaire concernant l'intervention de l'Etat dans les matières politique et économique. On voit bien qu'avec un tel raisonnement, une idée apparaît : c'est qu'une forme d'équilibre serait possible qui consisterait en une subtile synthèse de liberté et de contrainte, savant dosage qu’a recherché sans doute toute sa vie Todorov qui courut de déception en déception, de l'autoritarisme stalinien de la Bulgarie aux social-démocraties néolibérales européennes. Mais un tel raisonnement semble nous dire et nous persuader que l'opposition liberté/ contrainte est une impasse et que la voix de la sagesse politique passerait par un accord donc par une résorption des différences droite/ gauche. On assiste alors à la fonction de l'idéologie contemporaine qui est justement le fait de croire que la forme binaire doit être dépassée, que le clivage droite-gauche n'est qu'une illusion ou une chimère du dix-neuvième siècle. La chute du mur de Berlin a provoqué cette grande illusion que certains ont appelé fin de l'histoire : la croyance dans un monde unifié par la mondialisation néolibérale. Les peuples du vingt-et-unième siècle étant sommés de se réjouir. Le monde allait devenir américain, Google, Microsoft, Amazon et Apple deviendraient les modèle indépassables de l'entreprise capitaliste. Le un serait victorieux. Enfin ! on peut alors dire qu’au vingt-et-unième siècle, le politique semble avoir définitivement cédé la place à l’idéologique. Et l'on peut taxer d’idéologique le mouvement qui tend à remplacer le deux par quelque nombres que ce soit : le 1,0 ou le 3. C'est ainsi que nous assistons aujourd'hui à des herméneutiques de l'unité qui tendent à penser le politique sous la catégorie de la nation ou du peuple. Mais ces tentatives nationalistes ou populistes ne sont que des efforts visant à masquer la domination des uns par les autres. En ce sens le concept marxiste de lutte des classes, dans la mesure où il est opératoire, rend compte nous semble-t-il non seulement de ce qui se joue dans le domaine de l'histoire récente mais également des tentatives visant à dissimuler le « polemos », le clivage fondamental. Car les classes n'ont pas disparu, la bourgeoisie n'a pas disparu, la domination brutale d'une partie de l'humanité n'a pas disparu. Mais ce qui a disparu c'est le vocabulaire qui permettait de nommer ces injustices.

 

Tzvetan Todorov ( Chester Higgins Jr./The New York Times)

“Les régimes modérés opèrent toujours une répartition entre libertés et contraintes, qui fournit ailleurs une clé pour identifier parmi eux ceux à gauche et ceux qui se reconnaissent à droite. En effet, pour les premiers, il faut accorder une liberté maximale aux comportements ; la censure, les tabous, la morale même sont malvenus. En revanche, les libertés économiques devraient être restreintes par les interventions de l’Etat. Pour les seconds, c'est l'inverse : volontiers conservateurs sur le plan des mœurs, les gouvernements de droite préfèrent accorder une pleine liberté aux activités économiques individuelles ; c’est aussi ce que préconise la doctrine néolibérale. La gauche est favorable à la libre circulation des personnes ; la droite, celle des capitaux. Mais, significativement, aucune ne réclame simultanément les deux, comme si les interdits sur un plan étaient nécessaires pour compenser les libertés sur l'autre. Cette approche différenciée crée aussi des difficultés pour ceux qui la pratiquent : il n'est pas toujours facile de justifier l'absence de libertés dans un domaine, alors qu'on s'en fait le promoteur dans le domaine voisin.”

T Todorov, les ennemis intimes de la démocratie, p 197

mardi 3 août 2021

La morale est-elle relative ?

 


 

Kant, disons-le a mauvaise presse. Les notions mêmes de “loi” et d’universalité” apparaissent marquées du signe de l’obsolète pour une époque qui vit l’impératif comme une contrainte inutile et l’universel comme la première des illusions. Le relativisme est donc l’air du temps. A chacun son bien, à chacun sa vérité, à chacun son goût.        
L’argument des relativistes tient souvent dans un rappel du principe de réalité : il n’y aurait pas de devoir universel  et le kantisme moral qui énonce : “ je dois toujours me conduire de telle sorte que je puisse aussi vouloir que ma maxime devienne une loi ” ressemble pour eux à une formule éculée car tous les hommes sont irrémédiablement différents. Séparés par leurs cultures, leurs morales et leurs idées. O tempora , o mores. La réalité nous appellerait inexorablement du côté de la diversité et de la particularité, le chacun pour soi étant la dernière vérité de l' éthique.   Vouloir dans ces conditions réclamer une morale universelle serait exiger pour eux la création d’un homme abstrait car un homme réel par définition serait englué dans la particularité du monde et l’idiosyncrasie normative.

Mais c’est là que je ne peux plus suivre l’argument en ses derniers retranchements car si c’est l’expérience humaine qu’il s’agit de convoquer, examinons alors sans complexe les faits divers puisque selon nos relativistes la “diversité” des faits devrait nous inciter à nier l’idée d’un impératif catégorique ou d’un devoir universel. Les faits sont-ils anti-kantiens par nature ? La morale se conjugue-t-elle au pluriel, en fonction des différents et imperméables égoïsmes ?

Rappelons donc un fait divers récent . Douze jeunes thaïlandais pris au piège avec leur professeur de football dans la grotte inondée de Tham Luang au fin fond de la Thaïlande en juin 2018. On pourrait se dire en écoutant le son sinistre de la morale relativiste que seuls les Thaïlandais vont s’intéresser aux thaïlandais ou en poussant encore plus loin l’argument, que seules les familles sont au fond concernées par le sauvetage, donc que le devoir de porter assistance à une personne en danger n’est pas universel mais bien relatif (à une culture, à une famille, voire in fine à une personne). Or les faits, loin d’invalider la morale universelle de Kant semblent la fortifier. En effet qu’a-t-on vu ? Des nations que rien n’unit politiquement comme la Chine, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne entre autres prêter main forte aux opérations de sauvetage. Cette volonté commune de sauver des hommes et des enfants peut alors apparaitre comme un devoir de la raison ou comme une émotion partagée. Certes le kantisme évaluera à juste titre l’origine subjective de l’action morale et de sa maxime, mais il n’en reste pas moins que nous assistons de facto à la création d’un universel “ dans les faits”, qui n’est pas l’universel de la pensée abstraite mais un concert des nations bien réel et réjouissant les spectateurs. L’égoïsme n’est donc pas une nécessité, la prison culturelle n’est pas non plus une évidence. Il y a des devoirs que les hommes s’imposent malgré leurs différences et l’idée d’un devoir universel n’est pas aussi périmée qu’on le dit ou qu’on le braille.

 

 

Enfin un homme “ à qui tout va bien, voyant d’autres hommes (à qui il pourrait bien porter secours) aux prises avec de grandes difficultés, raisonne ainsi: Que m’importe? Que chacun soit aussi heureux qu’il plait au Ciel ou que lui‑même peut l’être de son fait; je ne lui déroberai pas la moindre part de ce qu’il a, je ne lui porterai pas même envie; seulement je ne me sens pas le goût de contribuer en quoi que ce soit à son bien‑être ou d’aller l’assister dans le besoin ! Or, si cette manière de voir devenait une loi universelle de la nature, l’espèce humaine pourrait sans doute fort bien subsister, et assurément dans de meilleures conditions que lorsque chacun a sans cesse à la bouche les mots de sympathie et de bienveillance, et même met de l’empressement à pratiquer ces vertus à l’occasion, mais en revanche trompe dès qu’il le peut, trafique du droit des hommes ou y porte atteinte à d’autres égards. Mais, bien qu’il soit parfaitement possible qu’une loi universelle de la nature conforme à cette maxime subsiste, il est cependant impossible de VOULOIR qu’un tel principe vaille universellement comme loi de la nature. Car une volonté qui prendrait ce parti se contredirait elle‑même; il peut en effet survenir malgré tout bien des cas où cet homme ait besoin de l’amour et de la sympathie des autres, et où il serait privé lui‑même de tout espoir d’obtenir l’assistance qu’il désire par cette loi de la nature issue de sa volonté propre.

 

Kant, Fondements de la Métaphysique des Mœurs.

 

Il faut alors distinguer l‘universel de facto et l’universel de jure, comme Kant nous y invite. Oui il y a des différences entre nous et l’universel du fait semble s’évanouir bien souvent, mais ce que l’esprit veut, c’est tout de même une condition de possibilité de la moralité. L’universel apparait bien incontournable sous ce jour comme un objet de la volonté. Je peux, il est vrai, sombrer dans l’égoïsme et le repli sur moi-même, mais je ne peux “vouloir” une telle situation, l’égoïsme ne peut devenir une loi universelle de la raison puisque l’espoir de l’assistance serait mis à mal. Ce qui nous fait donc échapper au relativisme moral c’est tout simplement l’exercice de la volonté. Le monde entier s’est réuni pour prêter main forte à ces jeunes thaïlandais. C’est bien l’illustration que l’indifférence et le “que m’importe” ? ne sont pas fatalement ratifiés par les faits comme on pourrait le croire trop rapidement.